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Le modèle de valorisation de votre entreprise nuit-il à vos ambitions ?

5 mai 2022

Auteure : Jackie Wiles

Dans le contexte actuel particulièrement difficile, la valeur de l'entreprise dépend de plus en plus de ce que vous apportez aux parties prenantes et de la manière dont vous le faites, mais également de la valeur que vous percevez en retour.

Des centaines de sociétés, y compris Gartner, se sont retirées de la Russie depuis que celle-ci a commencé la guerre en Ukraine. Mais certaines entreprises ont décidé de ne pas en faire autant. Nestlé, initialement critiquée pour sa décision de ne pas se retirer, a expliqué publiquement que sa décision était motivée par des préoccupations humanitaires et non par les profits. Shell affirme que son retrait de la Russie lui coûtera près de 5 milliards de dollars. Le calcul de ces actions (ou de leur absence) reflète le besoin croissant des entreprises de prendre en compte davantage que les seuls aspects financiers dans leur prise de décision. Mais les modèles traditionnels de valorisation de l'entreprise ne permettent pas de structurer efficacement ces décisions.

Gartner a mis au point une nouvelle équation de valorisation de l'entreprise qui permettra aux dirigeants de visualiser les décisions sous un angle nouveau, celui de leur incidence sur les différentes parties prenantes et de la valeur que l'entreprise pourra en retirer.

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Nous avons demandé à Rita Sallam, vice-présidente analyste, pourquoi il était nécessaire d'adopter un nouveau modèle et quels avantages il pouvait vous apporter.

Que prend en compte l'équation de valorisation de l'entreprise de Gartner et pour quelle raison ?

On ne saurait trop insister sur le nombre de grandes tendances auxquelles les entreprises sont confrontées, notamment la durabilité, les menaces de cybersécurité, la numérisation, l'automatisation, la grande démission, l'inflation, l'activisme des actionnaires, la polarisation des opinions et des groupes d'intérêt, l'égalité sociale et la diversité, l'équité et l'inclusion. Ces tendances modifient fondamentalement les stratégies et modèles d'exploitation, elles viennent également créer de nouvelles attentes de la part des différentes parties prenantes. Au vu de la complexité du contexte actuel, les modèles traditionnels de valorisation des entreprises ne nous aident pas à prendre des décisions qui génèrent une valeur durable.

Les décisions que vous prenez (quelles actions stratégiques privilégier, dans quels domaines investir, quels vecteurs de création de valeur exploiter, vos communications et mesures déployées) sont autant d'éléments susceptibles d'accroître ou de réduire la valeur de votre marque et de votre entreprise lorsqu'ils sont pris en compte au travers du prisme de toutes les variables propres à ces grandes tendances et nombre d'entre eux ne peuvent être exprimés uniquement dans une optique financière.

Gartner a mis au point une nouvelle équation de calcul de la valorisation de l'entreprise qui reflète mieux ces échanges constants de valeur que les entreprises doivent aujourd'hui équilibrer entre les parties prenantes et leurs actions.

Sans une méthode systématique de prise en compte de ce principe de concessions, les entreprises sont condamnées à traverser une crise après l'autre, en cherchant à satisfaire les exigences d'un ensemble de parties prenantes à la fois, sans prendre de décisions stratégiques coordonnées et harmonisées quant à l'affectation des ressources nécessaires à la création de valeur.

La nouvelle formule de valorisation de l'entreprise de Gartner intègre l'échange de valeur avec les différentes parties prenantes, plutôt que de se limiter strictement à la valorisation acquise.

En dépit des tentatives entreprises pour élargir le champ d'application de la valeur de l'entreprise, le rendement financier est longtemps resté l'indicateur de référence. Pourquoi cela ne suffit-il plus à mesurer cette valeur ?

Des théories socio-économiques telles que le capitalisme des parties prenantes et le triple bilan (ou rapport de développement durable) sont apparues il y a plus de dix ans, mais, dans la pratique, la plupart des entreprises continuent à se focaliser sur l'optimisation de la valeur actionnariale. La différence réside dans le fait que les entreprises doivent désormais fournir des résultats sous de nouvelles formes à un éventail plus large de parties prenantes, dont beaucoup ont plus de pouvoir que jamais, en partie parce qu'elles disposent d'outils nouveaux pour faire entendre leurs préoccupations.

Ainsi, la prise en compte de nouvelles menaces, comme la cybersécurité, et de nouvelles orientations, comme le développement durable, permet de ne plus se contenter de respecter la réglementation, mais de s'adresser à de nombreuses parties prenantes. Les retombées ou les répercussions en question comprennent la sécurité, l'innovation, la vie privée, les écosystèmes et la mise en conformité avec des valeurs. Les retombées peuvent renforcer la valeur de la marque, la réputation et la fidélité à la société, et ainsi être supérieures aux coûts associés.

Depuis les crises humanitaires et économiques provoquées par la pandémie, les clients et les employés se font de plus en plus entendre et attendent des fournisseurs et des employeurs qu'ils s'engagent à respecter les valeurs de la marque en matière de justice sociale et de responsabilité civique et environnementale. Il n'est pas toujours possible de constater les incidences directes de ces actions sur les résultats à court terme, mais elles constituent des indicateurs non financiers déterminants, mais souvent ignorés, de futurs gains sur le plan financier. En évaluant ces demandes et, si elles sont justifiées, en y répondant, l'entreprise peut accroître la valeur de sa marque et développer sa clientèle.

La décision de quitter la Russie est une illustration éloquente de l'évolution constante de ce calcul et démontre que les décideurs d'aujourd'hui ont besoin d'une meilleure méthode pour peser le pour et le contre de leurs actions en fonction de leur incidence globale sur la valeur de l'entreprise à long terme.

Prenons le dilemme des entreprises qui répondent à des investisseurs activistes, dont elles peuvent satisfaire les demandes, mais au prix de dépenses supplémentaires et de remaniements des modèles opérationnels. Les mesures purement financières se focaliseraient sur l'augmentation des dépenses, mais les décideurs ont besoin d'un moyen de déterminer si ces coûts sont compensés par la valeur à long terme découlant de la prise en compte des priorités des parties prenantes.

Ces types de décisions sont prises tous les jours, mais les analyses coûts-avantages ne reposent pas sur des structures adéquates permettant de prendre en compte les variables non financières.

Toutes les entreprises créent-elles aujourd'hui davantage de valeur non financière ?

Les modalités de création de valeur pour l'entreprise ont déjà considérablement changé à l'ère du numérique. Il suffit de regarder l'évolution du classement des entreprises les plus valorisées au monde. En 1995, General Motors, Exxon Mobil, Ford et GE étaient en tête de liste ; aujourd'hui, ce sont Apple, Microsoft, Alphabet et Amazon.

Les entreprises les plus valorisées aujourd'hui donnent la priorité aux investissements non seulement dans le numérique, mais aussi à un large éventail d'actifs non physiques : marque, innovation, propriété intellectuelle, savoir-faire, données, technologie, logiciels, leadership et culture.

Ce qui n'a pas changé, en revanche, est la manière dont nous comptabilisons cette valeur, et cela représente une erreur considérable. Nous ne sommes peut-être pas en mesure de quantifier directement nombre de ces avantages en termes financiers, mais ce sont des indicateurs avancés de la réussite financière et nous devrions allouer des ressources et des investissements pour y parvenir.

Chaque décision (et la manière dont les entreprises priorisent un investissement par rapport à un autre) doit être évaluée à travers le prisme multidimensionnel des parties prenantes, qui tient compte à la fois des implications financières à court terme et des retombées à long terme sur la valorisation de la marque, la capacité à recruter des profils de candidats qualifiés, le soutien des pouvoirs publics, la sécurité et le bien-être, etc. Si nous nous concentrons uniquement sur ce que nous pouvons exprimer en valeur strictement financière, nous allons très certainement mal hiérarchiser nos possibilités en matière d'investissement.

En recourant à une équation de valeur multifactorielle, les responsables informatiques et autres dirigeants d'entreprise ont à leur disposition un moyen plus précis et plus complet de répondre aux nouvelles demandes des parties prenantes et de démontrer les incidences de leurs décisions et de leurs investissements sur la valeur de l'entreprise.

Mais qu'est-ce qu’une valorisation d'entreprise « multifactorielle » et quels sont les facteurs déterminants de réussite ?

Le concept de valorisation multifactorielle de l'entreprise tient compte en permanence d'une série de variables matérielles et de vecteurs de création de valeur, ce qui vous permet d'équilibrer la valeur que vous fournissez aux parties prenantes et celle obtenue en retour. Cette approche procure la visibilité dont les décideurs ont besoin pour concrétiser les projets, percevoir et répondre aux demandes les plus importantes des parties prenantes et effectuer des itérations en fonction de facteurs multiples au fur et à mesure que les conditions évoluent.

Avant d'adopter une approche multifactorielle de la valorisation de l'entreprise, vous devez d'abord écouter les parties prenantes afin d'identifier (en dépit de la diversité, du niveau de priorité, du rythme et de la quantité des problèmes et préoccupations soulevés) les points qui revêtent de l'importance pour ces dernières ainsi que pour la société. Vous devez également veiller à identifier les facteurs de perturbation à évolution rapide et à incidence élevée.

Cette démarche peut supposer de nouveaux mécanismes de veille, car de nombreuses entreprises manquent de transparence sur les éléments essentiels liés aux résultats non financiers, qui sont des indicateurs indirects mais prépondérants de la création de valeur à long terme. Vous devez également mesurer les domaines où les actions visant à créer de la valeur ne permettront pas de réaliser la valeur escomptée.

À titre d'exemple, les mesures prises pour obtenir un score élevé sur Glassdoor ne signifient pas nécessairement que vous réduirez soudainement la rotation des effectifs ou que vous embaucherez plus facilement. Il se peut que les employés et les demandeurs d'emploi ne perçoivent pas la valeur de vos actions de la manière dont vous l'attendez et vous devrez donc solliciter un retour d'information et procéder à des adaptations lorsqu'il existe un déséquilibre entre ce qui est accompli et comment ces actions sont perçues, pour parvenir à un équilibre.

Prenez également en considération la façon dont certaines entreprises pétrolières et gazières ont cessé de lutter contre la transition vers des sources d'énergie propres pour afficher leur adhésion à cette démarche. Les modèles de valorisation d'entreprise multifactoriels peuvent faciliter la gestion de ces changements de manière à créer une valeur actionnariale durable au lieu de l'éroder, en dépit de résultats potentiellement négatifs pour les actionnaires à court terme.

Autre exemple : certains avantages découlant des innovations technologiques ou des investissements dans des infrastructures stratégiques, comme celles dédiées à la cybersécurité, sont évidents mais difficiles à exprimer en termes financiers. Pourtant, la plupart des entreprises prennent encore des décisions stratégiques et d'allocation des ressources en utilisant des approches antérieures au numérique ou à Internet, qui s'appuient sur un ensemble restreint de mécanismes pour optimiser la création de valeur pour une seule partie prenante : les investisseurs. Cette approche ne tient pas compte de toutes les composantes de la création de valeur et se traduit par une allocation des ressources qui est loin d'être optimale.

C'est pourquoi tant de DSI, de RSSI et de CDO ont encore du mal à justifier les dépenses consacrées aux technologies auprès de leur conseil d'administration et de leur PDG, qui continuent à remettre en question la valeur de ces dépenses. Souvent, ils ne parviennent pas à établir un lien entre les retombées de ces technologies et les résultats commerciaux et, par manque de perspicacité, ils ne tiennent pas compte des avantages non financiers qui sont les principaux indicateurs de la valorisation à long terme de l'entreprise. Les échanges entre les deux parties ne sont pas équilibrés.

Cette approche multifactorielle signifie-t-elle que les décideurs doivent équilibrer les compromis afin de créer de la valeur pour toutes les parties concernées simultanément ?

Sans aucun doute. Cette approche est bien plus délicate que la poursuite d'une mesure unique de la réussite, à savoir celle du rendement par action. Elle exige de prendre en compte les besoins et les demandes de nombreuses parties prenantes pour décider de l'affectation des ressources et de la priorité à accorder à un investissement par rapport à un autre. Mais ce n'est qu'en évaluant l'ensemble des avantages, des coûts, des risques, des corrélations et des compromis que vous pouvez optimiser les résultats des différentes parties prenantes et générer un accroissement de la valeur de l'entreprise à long terme.

Pour optimiser les résultats de toutes les parties prenantes et, en retour, la valeur de l'entreprise, vous devez faire des compromis et concilier des exigences contradictoires. Une fois encore, l'équilibre entre ce que vous donnez et ce que vous recevez permet de contrebalancer la valeur que vous offrez aux parties prenantes et la valeur que vous obtenez en retour sur la base de multiples variables.

Que risque-t-on si l'on ne parvient pas à repenser la valorisation de l'entreprise ?

Que cela vous plaise ou non, nous vivons une époque marquée par des attentes et des pressions croissantes de la part des parties prenantes, des perturbations et des fractures sociétales de plus en plus importantes, un climat changeant et instable et des crises humanitaires à répétition. Cette situation exige que les décisions soient prises de manière équilibrée et que la création et l'évaluation de la valeur soient envisagées dans une perspective plus large.

Nous avons besoin d'une nouvelle façon de concevoir la création de valeur, d'une nouvelle équation de la valorisation de l'entreprise qui ne se limite pas à l'optimisation de la valeur actionnariale, mais qui représente l'ensemble des valeurs économiques, sociales, entrepreneuriales et personnelles résultant de la prestation de services, de la création de produits ou de la réalisation de la mission de l'entreprise.

Un processus de création de valeur davantage axé sur la pérennité et continuité des activités permet aux décisionnaires de l'entreprise de se mettre à l'écoute, d'évaluer, d'agir, de mesurer, d'ajuster et ainsi d'évoluer. Faute de quoi, votre entreprise risque de subir des revers durables, non seulement en termes de résultats financiers à court terme, mais aussi du fait du mécontentement des clients, du désengagement des employés et de choix d'investissement malencontreux.

Les gros titres des journaux regorgent d'exemples d'erreurs commises par des entreprises qui ont fait passer les considérations financières avant les intérêts des autres parties prenantes, qu'il s'agisse de Purdue Pharma, qui n'a pas tenu compte des évolutions du consensus social sur les opioïdes, des collaborateurs de Wells Fargo, qui ont créé de faux comptes pour atteindre leurs objectifs de vente, d'Uber, qui n'a pas contrôlé le harcèlement sexuel, de Facebook, qui a laissé proliférer les fausses informations sur sa plateforme ou encore d'Equifax, qui a exposé ses clients à des violations de données.

Une vision patrimoniale unilatérale de la valorisation de l'entreprise ne comporte pas seulement des risques ; elle entraîne également un manque d'investissement dans les éléments de valorisation qui ne peuvent pas être facilement exprimés en termes financiers mais qui engendrent des avantages à long terme pour l'entreprise. Le fait de vouloir s’obstiner à ne pas tirer parti de cette approche simplement parce que vous ne pouvez pas évaluer correctement les divers facteurs de rentabilité vous fera perdre un grand nombre de perspectives commerciales.

Pour résumer :

  • L'environnement commercial actuel est caractérisé par une multitude de variables contradictoires, de phénomènes de rupture et de perturbations. Des facteurs non financiers déterminants ont une influence croissante sur la création de valeur, mais les modèles traditionnels de retour sur investissement ne permettent pas de prendre en compte leur contribution.
  • Une approche multifactorielle et multipartite plus performante est donc nécessaire, une nouvelle équation de la valorisation de l'entreprise, dans laquelle les entreprises équilibrent la prise de décision dans le cadre d'une conception plus large des échanges de valeur entre toutes les parties prenantes.
  • Un nouveau processus de création de valeur sur une base continue permet aux entreprises de se mettre à l'écoute, d'évaluer, d'agir, de mesurer, d'ajuster et de faire évoluer leurs actions pour favoriser la pérennité de la création de valeur et de ses retombées à long terme.

Favorisez la concrétisation de
vos priorités stratégiques décisives.