Pourquoi les dirigeants poursuivent-ils certaines initiatives stratégiques même en présence d'écueils potentiels ?

7 janvier 2022

Auteur : Marc Kelly

Les cadres déplorent la lenteur des évolutions de l'entreprise, mais près des deux tiers des responsables chargés des programmes de transformation nous disent que la moitié (ou plus) des problèmes à l'origine des difficultés auraient pu être anticipés lorsqu'ils sont apparus. Pourquoi les équipes laissent-elles subsister dans leurs projets un si grand nombre de sources de perturbation qui auraient déjà pu être identifiées ? En un mot, elles pèchent par excès de confiance. Elles estiment pouvoir se sortir d'affaire facilement lorsqu'elles tombent dans des pièges prévisibles. Mais elles se trompent.

Plus de 70 % des responsables de projets ont déclaré que leur principale justification de la poursuite du projet malgré les risques de retard était la conviction qu'ils étaient suffisamment réactifs pour faire face à tout ce qui pourrait survenir, comme des conflits entre parties prenantes ou des problèmes de ressources. Mais malgré leur confiance en leur capacité ou celle de leur entreprise, ces responsables ont été confrontés à des obstacles tout aussi importants que les autres. Et ce, quelle que soit la rigueur avec laquelle la planification initiale ou les pratiques de gestion des performances ont été réalisées.

Incidence des obstacles à la réalisation des objectifs du projet

Les problèmes qui peuvent retarder les projets, même s'ils sont bien identifiés et connus, réduisent les chances de réussite au point qu'elles ne valent guère mieux que la probabilité d’un tirage au sort.

Taux de réussite des projets à long terme

Télécharger maintenant :3 actions stratégiques à mettre en œuvre pour garantir la réalisation des objectifs en 2022

Les capacités d'adaptation ne suffisent pas à faire la différence

Lorsqu'on leur a demandé pourquoi les projets ont pris plus de retard que prévu, les chefs de projet ont, comme on pouvait s'y attendre, cité un certain nombre de problèmes de coordination, tels que la dissimulation des conflits par les parties prenantes, la mauvaise interprétation des données et leurs conséquences individuelles sur les partenaires commerciaux. Ces problèmes sont plus nombreux que les autres facteurs à l'origine des problèmes de projet signalés.

Les cinq principales raisons pour lesquelles les projets ont été retardés

La coordination étant un point de discorde manifeste, les entreprises se sont empressées d'accroître la participation des parties prenantes, de mettre en place davantage d'organes de gouvernance et de renforcer la surveillance des projets. La flexibilité des projets et/ou de l'entreprise devient alors la préoccupation principale des chefs d'entreprise qui cherchent à réorganiser les processus, les ressources et les droits de décision pour favoriser les chances de réussite des projets.

À première vue, cette approche semble prometteuse et elle est adoptée par de nombreuses entreprises. Mais les résultats sont difficilement quantifiables. Un examen attentif de la relation entre la coordination d'une entreprise ou d'une équipe de projet et la capacité à réduire le retard d'exécution des projets à long terme ne révèle aucune incidence significative. Les collaborateurs sondés qui s'estimaient suffisamment réactifs pour échapper à des blocages importants étaient tout aussi susceptibles de rencontrer des difficultés d'exécution que tous les autres répondants.

Lorsque les relations anticipées entre les efforts de coordination et le ralentissement observé dans le cadre du projet deviennent incohérentes, il est plus que probable que la coordination ne soit qu'un symptôme d'un problème plus profond. Il s'agit vraisemblablement de problèmes de compatibilité entre ce que les entreprises cherchent à accomplir et leurs pratiques actuelles.

Quelle est la cause réelle de ces difficultés ? une incohérence des modèles opérationnels

Le système de santé américain illustre parfaitement le décalage entre le développement de nouvelles capacités et les modèles commerciaux actuels. Au début de la pandémie liée à la COVID-19, les systèmes hospitaliers ont cherché à adopter de toute urgence des services de télésanté pour traiter en toute sécurité les patients pour lesquels une visite initiale en personne n'était pas nécessaire. Il a fallu l'apparition de ce nouveau coronavirus pour que cette solution passe du statut de «∘solution intéressante à envisager à l'avenir∘» à celui de «∘nécessité immédiate∘». Or, ce qui semble être une solution complémentaire et axée sur le client pose d'importants problèmes sur le plan du modèle économique.

La plupart des systèmes de santé intégrés basent leur modèle économique sur une prise en charge totale du patient. Après une première visite, les hôpitaux s’attendent généralement à ce que les patients qui ont besoin de traitements ou diagnostics supplémentaires viennent les effectuer dans le même établissement. Un patient qui consulte initialement le médecin d'un prestataire pour une douleur à l'épaule, par exemple, peut ensuite se rendre dans un autre service pour une IRM ou une radiographie. Mais avec les téléconsultations, il est plus probable qu'au lieu de se rendre à l'hôpital de leur médecin traitant, les patients consultent un autre prestataire de soins situé dans un établissement plus proche de chez eux. (Cette approche est encore plus facilitée par le partage des dossiers médicaux électroniques).

Lorsque ces deux modèles coexistent de cette manière (les consultations présentielles et les consultations virtuelles) l'une des trois possibilités suivantes se présentera :

  • l'entreprise adaptera son modèle économique traditionnel pour intégrer le nouveau concept de soins virtuels
  • l'entreprise cherchera un compromis et va venir exploiter les deux systèmes simultanément, en acceptant les pertes de rendement causées par la multiplication des consultations virtuelles
  • le système virtuel sera délaissé et commencera à péricliter lorsque l'entreprise aura décidé de se concentrer sur l'amélioration des performances

Pour un programme stratégique comme celui de la télésanté, les deuxième et troisième scénarios conduisent à des résultats qui oscillent entre mécontentement modéré et désillusion profonde. Dans tous les cas, cependant, il est certain que les progrès accomplis dans la réalisation des objectifs de l'entreprise seront perçus comme particulièrement laborieux.

Au vu de la cadence à laquelle s'opèrent ces évolutions, la plupart des entreprises ne manqueront pas de faire face à des situations similaires au dilemme du secteur des soins de santé. En réponse aux évolutions de leur propre secteur, de nombreuses entreprises mettent en œuvre des programmes interentreprises à plus grande échelle ; elles transfèrent la prise de décision vers les échelons inférieurs de la hiérarchie tout en accélérant les investissements numériques.

Réalisez deux analyses approfondies avant de vous lancer

Dans le cas de projets destinés à repousser les limites du modèle économique d'une entreprise, il peut être difficile de déterminer à quel moment ils font vaciller l'entreprise au point de ne plus pouvoir la sauver, même en faisant preuve d'agilité. Pour faciliter leur planification, les entreprises doivent identifier deux indicateurs des seuils limites de flexibilité.

1. Modèles de réussite et d'échec des projets antérieurs

Les nouveaux projets qui cherchent à développer le modèle commercial de l'entreprise répondent souvent à des approches familières et ils échouent généralement de la même manière que ces précédents modèles. Une entreprise essaie peut-être de susciter l'intérêt de ses clients d'une manière particulière ou bien une nouvelle offre de services est régulièrement intégrée à des produits existants. Dans tous les cas, les exemples d'échec dans l'ensemble de la société peuvent aider à déterminer quelles sont les pratiques commerciales qu'il vaut mieux ne pas modifier.

Jabil, une entreprise de services de fabrication, a analysé les décisions ayant une incidence importante et en a isolé une vingtaine qui étaient le plus souvent à l'origine de problèmes de stratégie en aval. L'équipe chargée de la stratégie a ensuite formé les responsables des unités commerciales à identifier et à écarter ces mauvaises décisions.

2. Convergence des projets et des réseaux de création de valeur commerciale

Dans son ouvrage intitulé «The Innovator's Dilemma» (Le dilemme de l'innovateur), Clayton Christensen a mis en lumière l'un des principaux obstacles auxquels se heurtent les entreprises de stockage de données pour se positionner sur le marché : l'incompatibilité des technologies qui sous-tendent les réussites d'un opérateur historique avec le développement de nouvelles innovations. Lorsque votre entreprise entend ne pas se contenter d'ajouter une nouvelle gamme de produits sur le même marché, le problème s'aggrave de manière exponentielle. Mais vous pouvez peut-être identifier les conflits potentiels en comparant la façon dont la valeur est créée par l'entreprise (revenus, la capacité d'apprendre et d'expérimenter et la neutralisation de la concurrence) et comment le projet génère de la valeur.

La réalisation de ce type d'analyse peut être une tâche ardue, étant donné le nombre total de technologies, de processus, de structures de gouvernance et de types de ressources qui constituent le modèle opérationnel d'une entreprise. Vous pouvez cependant rationaliser la démarche en faisant appel à des intervenants externes. Des experts indépendants compétents peuvent apporter un point de vue plus objectif que des parties prenantes enclines à une prudence excessive ou à des guerres intestines.

Le directeur de la stratégie de UnitedHealth Group demande l'aide d'experts du secteur, de clients, de fournisseurs et d'autres partenaires de la chaîne de création de valeur pour évaluer les capacités de l'entreprise. La diversité des points de vue internes et externes permet de remettre en question des hypothèses bien ancrées et de pondérer les divergences. Le fait d'obtenir le soutien d'un large groupe de partenaires externes de confiance pour concrétiser une opération suscite chez les dirigeants un sentiment de confiance qui les encourage à approuver le projet.

Cet article a été initialement publié dans le bulletin d'information Gartner Business Quarterly du deuxième trimestre 2021. Téléchargez le numéro complet ici.

 

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